FEUILLETÉSDepuis plusieurs années, ma production tire son origine des recherches que je fais sur le motif comme fondement des formes du monde qui nous entourent. Je pourrais résumer cette pensée par une expression : « tout est motif ». C’est donc de cette idée que résident la provenance et la genèse de l’ensemble des œuvres proposées dans cette exposition. Tout d’abord, le titre de l’exposition, Feuilletés : c’est la nuit, je suis en état de demi-sommeil. En un éclat passager, une image apparaît, elle bouge tel un voile diaphane à la fenêtre. Vient se superposer à la première, une autre image qui peut être un souvenir, peu m’importe. Je laisse mon imaginaire prendre doucement les chemins qu’il souhaite, tout à la fois conscient et détaché du jeu de multiplication de sens qui s’ensuit, dans cet état quelque peu énigmatique où nous plonge la quête du sommeil… Puis, s’ajoute une autre image tandis que la première commence à disparaître et ainsi de suite. De cette totale liberté vagabonde, le modèle de construction d’images en «feuilleté translucide» s’est imposé de lui-même. Le premier corpus d’œuvres, État de veille, transpose parfaitement cette idée du feuilleté d’images : une photo, un motif, le profil d’un objet ou d’un corps, une croix. Cet amalgame composite est le libre mariage d’images, dans l’esprit du cadavre exquis – jeu pratiqué par les surréalistes consistant à continuer un dessin, une phrase ou un poème débuté par un tiers ; l’image s’inventant de manière continue, les interventions se faisant à la chaîne. Dans mon cas, je suis le seul joueur et la création de l’image finale se fait par strates successives d’images translucides mêlant différentes références. Alors que cette première séquence d’images n’imposent pas de direction quant à la façon de les regarder, le deuxième corpus intitulé Clinique, offre à voir une disposition d’éléments reconnaissables, une classification d’objets répertoriés. Ce « supposé » inventaire montre le profil d’un objet, d’un corps déposé sur un papier millimétré dont le fond à motif camouflage laisse apparaître le visage d’une personne disparue, recherchée ou non identifiée. Provenant de registres internationaux du Web, les visages incarnent les étranges parcours que peut prendre parfois la vie humaine. Le troisième et dernier ensemble propose des paysages où sont superposées des compositions d’objets en état d’immatérialité. En surface, un réseau de lignes crée une cartographie à explorer, une profondeur à rechercher puis, tout à coup, un arrangement kitsch de fleurs, planté là dans le tableau, renvoie à la picturalité. Un élément commun relie toutes ces séquences : il y a toujours une partie de l’image, un motif, qui vient parasiter l’image finale. Il en perturbe la lecture, le sens, en ouvrant paradoxalement plusieurs portes. Par cet accès libérateur, je souhaite qu’on appréhende ces œuvres dans une joyeuse anarchie. |